Marques similaires et risque de confusion dans l’Union européenne

Définition d’une marque communautaire (ou désormais « marque de l’Union européenne ») :

« L’intérêt majeur du système de la marque communautaire est de permettre aux entreprises d’identifier leurs produits et services de façon identique sur tout le territoire de l’Union Européenne (UE). La marque communautaire leur permet, par une procédure unique devant l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), l’enregistrement d’une marque qui bénéficiera d’une protection uniforme et produira ses effets sur tout le territoire communautaire » (source : euro-lex.europa.eu).

Ainsi, les marques de l’Union européenne ont un caractère unitaire et produisent les mêmes effets sur l’ensemble du territoire de l’Union. La conséquence de ce principe est que les tribunaux compétents en matière de marques de l’Union européenne sont compétents pour connaître des manquements auxdites marques commis dans quelque Etat membre que ce soit (art. 98.1 du Règlement précité, en lien avec l’art. 97).

Par conséquent les tribunaux de marques de l’Union européenne sont compétents pour interdire sur tout le territoire de l’Union l’usage d’une marque de l’Union européenne enregistrée (art. 102.1 du Règlement).

Mais, que se passe-t-il lorsqu’un tribunal de l’Union européenne chargé de juger un cas concret en arrive à la conclusion selon laquelle l’usage de la marque du demandeur risque de provoquer une confusion avec une marque similaire sur une partie du territoire de l’Union européenne et non sur l’ensemble de ce territoire ?

C’est précisément cette situation qui a donné lieu à un renvoi préjudiciel[1] de la part d’un tribunal allemand. La Cour de justice de l’Union européenne a été répondu à ce renvoi par arrêt du 22 septembre 2016 (C-223/15).

Les faits à l’origine de ce renvoi préjudiciel étaient les suivants :

L’entreprise allemande Combit Sofware GmbH était titulaire de plusieurs marques allemandes et communautaires protégeant l’expression « combit » pour des produits et services informatiques.

Pour sa part, l’entreprise israélienne Commit Business Solutions Ltd vendait en ligne, sous l’appellation « Commit », des logiciels à destination de divers pays (y inclus, au moment du renvoi préjudiciel, l’Allemagne, où la commercialisation avait lieu par le biais d’un site internet en allemand avec livraison dans ce pays).

Cette entreprise allemande a attrait en justice Commit Business Solutions, afin qu’il lui soit interdit de commercialiser ses logiciels de marque « Commit » dans toute l’Union européenne ou, à défaut (demande subsidiaire) seulement en Allemagne.

Le tribunal de première instance allemand (Landgericht Düsseldorf, agissant en qualité  de tribunal des marques communautaires) a rejeté la demande principale mais a fait droit à la demande subsidiaire.

Comit Software GmbH, la société allemande, a interjeté appel de cette décision devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (juridiction d’appel allemande).

La juridiction d’appel a conclu que l’usage du signe verbal « Commit » par Commit Business Solutions créait, dans l’esprit du consommateur moyen germanophone, un risque de confusion avec la marque « Combit ».

En revanche le tribunal de Düsseldorf a considéré qu’il n’y avait pas de risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen anglophone. En effet, celui-ci peut aisément comprendre la différence conceptuelle existant entre, d’une part, le verbe anglais to commit et, d’autre part, le terme « combit », ce dernier étant composé des lettres « com » pour computer, et des lettres « bit » pour binary digit. La similitude phonétique entre « Commit » et « combit » serait, dans l’esprit dudit consommateur anglophone, neutralisée par cette différence conceptuelle.

Face à cette situation, la juridiction d’appel allemande (l’Oberlandesgericht Düsseldorf) a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’un renvoi préjudiciel, par lequel il lui a posé les questions suivantes :

« Quelles conséquences cela a-t-il sur l’appréciation du risque de confusion entre une marque verbale de l’Union européenne et une dénomination dont il est allégué qu’elle contrefait ladite marque lorsque, du point de vue du consommateur moyen d’une partie des États membres, la similitude phonétique entre la marque et la dénomination est neutralisée par une différence conceptuelle, mais non du point de vue du consommateur moyen d’autres États membres :

  • Est-ce le point de vue du consommateur moyen des premiers États membres qui est déterminant pour apprécier le risque de confusion ou le point de vue du consommateur moyen des autres États membres, ou encore le point de vue d’un consommateur moyen fictif de tous les États membres ?
  • Convient-il de considérer que la contrefaçon de la marque de l’Union européenne est constituée, ou n’est pas constituée, sur l’ensemble du territoire de l’Union lorsque le risque de confusion n’existe que sur une partie de ce territoire ou convient-il [d’opérer une différence] alors entre les États membres ? »

La Cour de justice, dans la décision commentée, rappelle que les tribunaux de marques de l’Union européenne peuvent apprécier (s’ils sont territorialement compétents, en application de l’article 97 du Règlement (CE) nº 207/2009) l’existence de l’infraction sur le territoire de n’importe quel Etat membre de l’Union.

Elle considère par ailleurs que lorsque « l’usage d’un signe crée, dans une partie de l’Union, un risque de confusion avec une marque de l’Union européenne, tandis que, dans une autre partie de l’Union, le même usage ne crée pas un tel risque, cette juridiction ne saurait conclure à l’absence de violation du droit exclusif conféré par cette marque. Il lui incombe, au contraire, de constater qu’il existe une atteinte à la fonction d’indication d’origine de ladite marque et que, en conséquence, il y a violation du droit exclusif conféré par celle-ci ».

Mais, la Cour de justice d’ajouter que « dans le cas où l’usage du signe similaire […] ne crée, notamment pour des motifs linguistiques, aucun risque de confusion dans une certaine partie de l’Union et n’y est donc pas susceptible de porter atteinte à la fonction d’indication d’origine de cette marque, le tribunal des marques doit limiter la portée territoriale de […] l’interdiction ».

A cette fin, un tribunal des marques de l’Union européenne confronté à une telle situation doit déterminer avec précision les zones qui ne sont pas concernées par l’interdiction.

La décision de la Cour de justice emporte des conséquences pratiques importantes en matière de marques de l’Union européenne.

En premier lieu, il est prévisible que les avocats de la partie attaquée devant un tribunal des marques de l’Union européenne tentent de prouver que dans certaines zones de l’Union l’infraction n’est pas constituée, notamment pour des raisons linguistiques.

Ainsi, les tribunaux des marques de l’Union européenne, au lieu de reconnaître l’existence d’un risque de confusion sur le territoire de l’Union européenne et de prononcer l’interdiction de la marque ou du signe litigieux sur l’ensemble du territoire, devront analyser méticuleusement dans quelles parties du territoire de l’Union européenne ladite confusion opère.

Le risque est donc que la bataille se concentre sur la détermination des zones où la confusion existe.

En conclusion, lorsqu’il existe un risque de confusion entre une marque de l’Union européenne et un signe similaire utilisé par une autre entité que celle bénéficiant de la marque de l’Union, le principe est que l’interdiction du signe apportant la confusion s’exerce sur le territoire de tous les Etats membres de l’Union.

Par exception, lorsque, notamment pour des raisons linguistiques, le risque de confusion ne s’exerce pas dans certaines parties du territoire formé par tous les Etats membres, l’interdiction du signe litigieux ne vaut pas sur les zones dépourvues de risque.

Cet article ne relève pas du conseil juridique


[1] Mécanisme de coopération entre un juge national et le juge de l’Union européenne. Il permet à une juridiction nationale de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, dès lors qu’elle estime qu’un élément du droit de l’Union européenne doit être interprété ou validé par le juge de l’Union européenne (voir art. 267 TFUE).

Diplômé en Droit avec un Master en Droit de la Propriété Intellectuelle, Alexander Zuazo est représentant agréé des demandeurs de brevets devant l’Office Européen des Brevets. Langues de travail : anglais, espagnol et basque. Envoyez votre consultation à Contactez Maître Zuazo